Nassera Dutour, Mère de toutes les batailles

Nassera Dutour est présidente de la FEMED et du Collectif des familles de disparu(e)s en Algérie (CFDA), association membre de la FEMED.

Le 30 janvier 2022 marque le vingt-cinquième anniversaire de la disparition d’Amine, le fils de Nassera Dutour, figure emblématique de la lutte contre les disparitions forcées, présidente de la FEMED et du CFDA. Cet article est l’occasion pour nous de revenir sur la chronologie de ces événements ayant marqué la vie de Mme Dutour, et d’en apprendre davantage sur son combat exemplaire et sa force d’esprit qui se transmet désormais de génération en génération.

En janvier 1997, Amine Amrouche, jeune homme algérien de vingt et un ans, disparaît sans laisser de trace. Il était apprenti dans une entreprise spécialisée dans la sculpture sur bois. Après plusieurs tentatives de demandes de visas qui ont toutes été refusées, celui-ci décida de prendre sa vie en main jusqu’à ce qu’il puisse rejoindre sa mère en France.

L’appel qu’a reçu Nassera à la suite de la disparition de son fils a bouleversé toute sa vie. Le 30 janvier 1997, le téléphone sonna. « Amine a disparu », lui dit son frère. Elle voulut prendre le premier vol pour se rendre en Algérie mais son frère tenta de la rassurer en lui demandant de rester en France pour l’instant et qu’il essaierait de le retrouver. Une semaine plus tard, il n’y avait toujours pas de nouvelles d’Amine. Ne pouvant plus tenir, Nassera se rendit en Algérie. 

Dès son arrivée, elle se dirigea au commissariat de police pour connaître les résultats de la plainte qui avait été déposée par sa famille. Mais les policiers lui indiquèrent que le dossier d’Amine était perdu et qu’ils avaient besoin de documents administratifs tels que l’acte de naissance ou encore des photos supplémentaires. Au début, Nassera pensait qu’Amine avait été arrêté car il n’avait pas effectué son service militaire. Elle s’est donc rendue au bureau de recrutement pour le service militaire. 

Après avoir consulté le dossier, il lui a été dit qu’Amine n’était pas déclaré comme insoumis. En parallèle à la « procédure d’investigation » menée par la police nationale, Nassera entama une recherche indépendante aux côtés de sa famille en faisant la tournée des commissariats, des gendarmeries, des casernes, des morgues et des hôpitaux. Elle avait appris pendant ses recherches que la date à laquelle Amine a disparu coïncide avec une période pendant laquelle il y a eu une vague d’arrestations à la suite d’un attentat commis contre le préfet d’Alger. 

Dans ce contexte de guerre civile opposant les forces gouvernementales aux combattants islamistes rattachés au Front islamique du salut (FIS), l’État avait instauré un état d’urgence, dotant les institutions publiques d’une compétence territoriale leur permettant de déporter tout suspect vers des lieux de détention mystérieux et éloignés.

Au cours de son périple, Nassera fut orientée, par différentes personnes, vers diverses structures. D’une part, elle se rendit à la caserne Châteauneuf, qui est très réputée pour ses méthodes de torture, pour rencontrer un individu proche du commissaire. Cependant, après une rencontre, l’homme en question s’est volatilisé. D’autre part, elle prit contact avec ses anciens camarades syndicalistes avec lesquels elle a entretenu une relation professionnelle et amicale lorsqu’elle vivait en Algérie. Grâce à eux, elle a pu être mise en contact avec le frère d’un commandant de l’armée. Celui-ci lui promit de retrouver son fils. Une semaine plus tard, cette même personne la rassura. « Nous avons localisé ton fils. D’ici l’Aïd, il viendra frapper à ta porte ». L’Aïd passa et les jours aussi. Toujours rien. Lorsque Nassera revit la personne en question, celui-ci prit la fuite. 

Les embûches face auxquelles Nassera fut confrontée tout au long de son parcours de recherche pour retrouver son fils, reflètent la politique des autorités algériennes de brouiller les pistes afin que les disparus ne soient pas retrouvés. Par ailleurs, elle fit face à une société complètement déshumanisée où la torture était devenue banale, et à des individus dont le discours dépassait l’entendement. Cela lui causa des crises d’angoisse et sa santé mentale détériora au fil des jours.

Comme pour Amine, on ne lui avait pas accordé de visa français, jusqu’au jour où elle obtint le numéro de téléphone d’une professionnelle rattachée au ministère des affaires étrangères de Nantes. Après un accueil téléphonique d’une froideur extrême, Nassera menaça de se suicider en dénonçant la négligence de la France dans cette affaire. Elle finit donc par obtenir le visa pour Amine et rentra en France six mois plus tard. Une fois remise de ces périodes d’extrême tourmente, elle décida de se relever et de mener une lutte acharnée pour retrouver toute personne disparue en Algérie et dans le monde.

Elle prit contact avec d’autres familles de disparus afin de mutualiser leurs efforts dans leur quête de vérité et de justice. Elle fonda deux organismes dédiés à la lutte contre les disparitions forcées. D’une part, le CFDA, créé en 1998, a comme objectif de faire la lumière sur le sort des disparus, d’orienter leurs familles dans leurs démarches administratives et juridiques, de sensibiliser l’opinion publique nationale et internationale, de former et d’informer, et enfin, d’apporter une assistance aux victimes sous toutes ses formes. D’autre part, la FEMED, créée en 2007, prône la fin des disparitions forcées dans la région Euro-Méditerranéenne à travers le renforcement des capacités de ses associations membres, des actions de plaidoyer et de sensibilisation, et de formations légales à destination des familles de disparus. La sagesse et la détermination de Nassera, qui se transmettent aujourd’hui de génération en génération grâce au maintien des organismes qu’elle dirige, sont pour nous, personnes ordinaires et autres professionnels, une source d’inspiration. Le prénom « Nassera » provient de la racine رصنلا qui signifie « victoire » en arabe. Par conséquent, face aux aléas de la vie, Nassera, mère de toutes les batailles, ne peut en sortir que plus forte et victorieuse.