En Algérie, le Hirak, ou mouvement de contestation populaire, entamé le 22 février, ne faiblit pas. Initialement déclenché pour s’opposer à la candidature d’Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat présidentiel, le Hirak prend rapidement de l’ampleur, rassemblant des millions d’Algériens de tous horizons. Grâce à cette pression citoyenne constante et pacifique, Bouteflika est contraint de démissionner le 2 avril 2019. Toutefois, loin de marquer la fin de la mobilisation, cette victoire partielle redonne au mouvement une nouvelle vigueur : les manifestants réclament désormais une véritable refonte du système politique, et non simplement un changement de figures à la tête de l’État.
À mesure que l’année avance, les revendications se précisent : le Hirak refuse catégoriquement l’élection présidentielle prévue le 12 décembre, qu’il considère comme une tentative du pouvoir de se régénérer à travers de nouveaux visages issus du même appareil. Les cinq candidats en lice sont tous perçus comme proches de l’ancien régime. Les manifestants demandent à la place une période de transition encadrée par des figures indépendantes, la mise en place d’un dialogue réel avec la société civile et la révision en profondeur des institutions. Le pouvoir, notamment incarné par le chef d’état-major de l’armée, le général Ahmed Gaïd Salah, rejette ces demandes, affirmant que le processus électoral est la seule issue légitime à la crise.
Le 1er novembre 2019, date hautement symbolique correspondant au 65e anniversaire du déclenchement de la guerre de libération contre la France, marque un moment fort du mouvement. Des dizaines de milliers de personnes descendent dans les rues d’Alger pour le 37e vendredi consécutif de manifestations. La rue Didouche-Mourad, artère centrale de la capitale, déborde d’une foule multigénérationnelle et pacifique, où les drapeaux algériens se déclinent en toutes formes. Les slogans sont sans équivoque : rejet de l’élection, exigence du départ de Gaïd Salah, Bensalah et Bedoui, et appels à une Algérie civile et démocratique, libérée de l’influence militaire. Les manifestants s’expriment aussi par la musique et les chants, comme l’hymne contestataire Liberté du rappeur Soolking ou La Casa del Mouradia, chanson fustigeant le pouvoir.
Dans un climat de rupture entre le peuple et ses dirigeants, les références au passé anticolonial renforcent la portée symbolique du mouvement. Le mot « Istiqlal » (indépendance) est scandé, non plus contre une puissance étrangère, mais contre un régime jugé illégitime et oppressif. Les manifestants comparent leur lutte actuelle à celle des héros de la révolution, comme Ali la Pointe. Ce parallèle souligne la conviction profonde des hirakistes : pour eux, l’Algérie n’est pas encore pleinement libre tant qu’un système opaque, corrompu et militarisé reste aux commandes. Le Hirak, dans son essence, ne se résume donc pas à une simple opposition politique, mais s’affirme comme un mouvement de refondation nationale, profondément ancré dans l’histoire et porté par une aspiration collective à la dignité, à la justice et à la souveraineté populaire.
Source de la photo : Mohamed Jaouad El Kanabi / AFP