Syrie : premières initiatives de justice transitionnelle après la chute du régime

Plus de cinq mois après la chute du régime de Bachar al-Assad, la Syrie entame une transition délicate. Le nouveau président par intérim, Ahmad al-Charaa, a annoncé une série d’initiatives censées poser les bases d’un futur fondé sur la justice, la vérité et la réconciliation. Parmi les mesures phares figurent la création de deux commissions indépendantes : l’une dédiée aux personnes disparues, l’autre à la justice transitionnelle. Ces structures, formées par décret présidentiel, sont censées répondre à l’un des legs les plus douloureux du conflit syrien : la disparition de dizaines de milliers de personnes depuis 2011.

La nouvelle Commission pour les disparus, dotée d’une autonomie financière et administrative, aura pour mission de rechercher les victimes de disparitions forcées, de documenter les cas, de créer une base de données nationale, et d’apporter un soutien juridique et humanitaire aux familles. En parallèle, une Commission pour la justice transitionnelle devra faire la lumière sur les violations commises par le régime précédent, identifier les responsables, garantir les droits des victimes à des réparations et ancrer les principes de non-répétition.

Cette volonté politique de rompre avec les pratiques du passé représente une étape cruciale, mais reste fragile. Amnesty International, qui a longuement documenté les exactions perpétrées depuis 2011 par le régime syrien mais aussi par ses alliés (Russie, milices pro-gouvernementales) et ses opposants (groupes armés, Turquie), insiste sur la nécessité d’un changement structurel profond. L'organisation appelle les nouvelles autorités à garantir une véritable participation des victimes et de la société civile syrienne dans l’élaboration de ces mécanismes, et à assurer la transparence de l’ensemble du processus.

En avril 2025, Amnesty a transmis au gouvernement de transition une série de recommandations précises. À ce jour, aucune réponse officielle n’a été donné, en dépit des attentes. Après des années de répression, d’arrestations arbitraires, de torture et de disparitions, de nombreuses familles espéraient la libération de leurs proches à la chute du régime. Mais l’espoir s’est heurté à une réalité amère : la majorité de ces personnes n’ont jamais reparu.

L’annonce de la création, le 27 février 2025, d’une Haute Commission nationale pour les personnes disparues, n’a guère rassuré les associations de familles, qui dénoncent leur mise à l’écart du processus décisionnel et l’absence de résultats tangibles. Pour être crédible, toute démarche de vérité et de réparation devra s’appuyer sur une consultation réelle des victimes et de leurs représentants. La Commission de justice transitionnelle, inscrite dans la déclaration constitutionnelle de mars 2025, prévoit d'ailleurs explicitement des « mécanismes centrés sur les victimes » : encore faut-il que cela ne reste pas lettre morte.

Sur le terrain, la situation reste volatile. Malgré la transition, les violences se poursuivent. En mars 2025, des massacres ciblés ont visé des civils alaouites sur la côte syrienne. Ces crimes, que certains qualifient déjà de crimes de guerre, ont fait l’objet d’une commission d’établissement des faits. Son fonctionnement constituera un test décisif pour la crédibilité du nouveau pouvoir.

Par ailleurs, des réformes juridiques et institutionnelles sont attendues pour démanteler l'appareil répressif hérité de l'ancien régime. De nombreuses structures sécuritaires sont toujours infiltrées par d’anciens agents ou des membres de groupes armés impliqués dans des violations passées. Pour éviter la répétition des abus, les autorités doivent exclure ces individus des postes de pouvoir et garantir que les nouvelles institutions respectent les droits humains fondamentaux.

La Syrie traverse une phase critique. Le pays, ravagé par plus d'une décennie de guerre et de destructions, subit de plein fouet les conséquences économiques du conflit et des sanctions. Dans ce contexte difficile, la tentation pourrait être grande de reléguer la justice à plus tard. Ce serait une erreur stratégique et morale. Retarder les mesures de justice, c’est entretenir les frustrations, laisser les blessures ouvertes, et créer les conditions de nouveaux cycles de violence.

La communauté internationale, elle aussi, doit faire sa part. Si certains États continuent de soutenir les mécanismes de justice, d'autres — comme les États-Unis qui ont récemment réduit leurs aides — contribuent à fragiliser les efforts en cours. Par ailleurs, les frappes menées par la Turquie et Israël après la chute du régime ont causé des pertes civiles supplémentaires, aggravant encore le traumatisme collectif.

La Syrie de demain ne pourra se construire que sur les fondations solides de la vérité, de la justice et des réparations. C’est un chemin ardu, mais c’est le seul qui puisse réellement tourner la page d’un passé marqué par l’impunité.

Source de la photo : La prison militaire de Saydnaya, haut lieu de la répression du régime de Bachar Al-Assad, jeudi 19 décembre 2024. LEO CORREA / AP

Sources d’information :

« En Syrie, des commissions indépendantes vont enquêter sur les disparus et sur les crimes commis sous le régime de Bachar Al-Assad », Le Monde, 18 mai 2025

«  Syrie, Le nouveau gouvernement doit donner la priorité aux mesures en faveur de la justice et de la vérité », Amnesty International, 16 mai 2025

« En Syrie, des commissions nationales indépendantes vont enquêter sur les disparus et les crimes commis sous le régime de Bachar al-Assad », Franceinfo, le 18 mai 2025

Mayasa Mohammad, from Association Families for Freedom, 11.5.25