L’Espagne au banc des accusés à la place du Juge Garzon ? L’ICAED demande que les enquêtes sur les disparitions forcées perpétrées pendant la Guerre civile espagnole et sous le régime de Franco ne soient plus bloquées. L’ICAED demande aussi qu’une réparation soit accordée aux victimes et que la loi d’amnistie de 1977 soit abrogée.
Le 24 janvier 2012, la Cour suprême espagnole a débuté ses auditions dans la procédure visant le juge Garzon. Ce dernier est accusé d’avoir outrepassé sa compétence en acceptant des plaintes et en commençant le processus d’enquêtes sur les disparitions forcées et autres violations massives des droits de l’homme qui ont eu lieu en Espagne entre 1936 et 1951. Les enquêtes du Juge Garzon portaient sur des crimes sanctionnés par le droit international, qui lorsqu’ils sont pratiqués de façon systématique ou généralisée, sont qualifiés de crimes contre l’humanité. Sans aucun doute, il s’agit de crimes imprescriptibles et leurs auteurs ne peuvent bénéficier d’une quelconque loi d’amnistie.
En Espagne, la loi no. 46/1977 du 15 octobre 1977 a établi une amnistie limitée uniquement aux délits commis avec une intention politique. Toutefois, elle ne concerne pas les responsables de crimes contre l’humanité commis jusqu’au 15 décembre 1976.
Par ailleurs, en 2008, le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a recommandé à l’Espagne :
De considérer la révision de la loi d’amnistie de 1977.
De prendre les mesures législatives nécessaires pour garantir la reconnaissance de l’imprescriptibilité des crimes contre l’humanité par les tribunaux nationaux.
De prévoir la création d’une commission d’experts indépendants chargés d’établir la vérité historique sur les violations des droits de l’homme commises pendant la guerre civile et la dictature.
De donner aux familles la possibilité d’identifier et d’exhumer les corps des victimes et de les indemniser.
De son côté, en 2009, le Comité contre la torture a recommandé à l’Espagne qu’elle s’assure que les actes de torture incluant aussi les disparitions forcées ne soient pas concernés par l’amnistie. A ce sujet, le Comité a aussi encouragé l’Etat partie à continuer et à intensifier ses efforts afin d’aider les familles de victimes à clarifier le sort de leurs proches disparus, à les identifier et à obtenir les exhumations de leurs dépouilles dans la mesure du possible. De plus, le Comité a réitéré que conformément à l’article 14 de la Convention, l’Etat se doit d’assurer la réparation et le droit à une indemnisation pour toute victime d’actes de torture. Il faut aussi souligner que l’article 19 de la Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées (1992) établit clairement que les auteurs ou présumés auteurs de disparitions forcées ne bénéficieront pas d’une quelconque loi spéciale d’amnistie ou d’autres mesures analogues qui auraient pour effet de les exonérer de procédures ou de sanctions pénales. Le paragraphe 6 de l’article 24 de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées (ratifiée par l’Espagne le 24 septembre 2009), mentionne que tous les Etats parties ont l’obligation de poursuivre une enquête jusqu’à ce que soit établi le sort de la personne disparue.
A la lumière de ces différents éléments, il apparait que la loi no. 46/1977 a été interprétée de façon erronée en Espagne. Ainsi, l’Espagne contrevient aux obligations internationales qu’elle a contractées. Les autorités, en appliquant largement cette loi à des crimes de droit international, se retrouvent en contradiction avec les recommandations des différents organismes internationaux de protection des droits de l’homme. Dans l’éventualité où le juge Garzon serait sanctionné et sur le fondement des obligations internationales de l’Espagne, il en résulterait une condamnation par les mécanismes internationaux de protection des droits de l’homme et possiblement, de nombreuses requêtes soumises contre l’Espagne auprès de ces organismes. En ce sens, le 8 février 2012, la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur l’indépendance des magistrats et des avocats ainsi que le Groupe de travail sur les disparitions forcées ont exprimé leur profonde préoccupation quant aux conséquences éventuelles d’un jugement à l’encontre du Juge Garzon.
La Coalition internationale contre les disparitions forcées (ICAED) appelle l’Espagne à se conformer à ses obligations internationales et à respecter le droit à la justice, à la vérité et à la réparation des milliers de victimes de disparitions forcées commises pendant la Guerre civile et sous le régime de Franco. L’ICAED tient aussi à noter qu’ en l’espèce, les erreurs présumées au sein de procédures judiciaires ne sont pas des motifs valables pour révoquer un juge ou initier des procédures judiciaires à son encontre. L’ICAED réitère qu’en mettant en place des procédures pour les plaintes et les enquêtes sur les disparitions forcées perpétrées pendant la dictature, le Juge Garzon s’est pleinement conformé avec les obligations internationales de l’Espagne ainsi qu’aux recommandations formulées à maintes reprises par différentes organisations internationales.
Le 13 février 2012
MARY AILEEN D. BACALSO, Point Focal,
Coalition internationale contre les disparitions forcées (ICAED).