Quelle réconciliation pour l’Algérie ?  Rachid El Manouzi : Mémoire(s) et Société(s)

Discours tenu lors de la table-ronde organisée à Alger le 1e décembre 2018 sur le thème « La mémoire, un instrument pour garantir la non-répétition des crimes »

La question mémorielle est absolument primordiale pour tout État, groupe de personnes ou individu ayant subi ou ayant été témoin d’un préjudice. La mémoire engendre la réconciliation lorsqu’elle est complète et réelle, et la réparation lorsque cette dernière est reconnue. Les difficultés encore aujourd’hui pour aboutir à une « mémoire apaisée» ne font que souligner la complexité des conflits et la survivance de douloureux souvenirs.

La politique de mémoire peut susciter l’essor d’un esprit de repentance, d’une reconnaissance officielle des « responsabilités », pour déboucher parfois sur une démarche active de réparation. Respecter et reconnaître les mémoires ne revient cependant pas à nier leur caractère éminemment subjectif, la mémoire étant le fruit d’un souvenir passé lu au prisme du présent. Les mémoires fonctionnement ainsi comme des discours de légitimation, étant à la fois rappel d’évènements et miroir déformant. Elles sont l’évocation d’un vécu passé ainsi qu’un discours sur le contemporain. De plus, les mémoires ne s’organisent pas comme un tout explicatif, et leur écoute peut ressembler à une véritable rhapsodie de plaintes. Mais entendre et écouter les mémoires est un processus absolument primordial. Tzvetan Todorov souligne dans son ouvrage les Abus de la mémoire « La vie a perdu contre la mort mais la mémoire gagne dans son combat contre le néant »1. Et lorsqu’un fait extraordinaire est vécu, il doit être recouvert : par exemple lorsqu’il s’agit de massacres ou d’un génocide, c’est pour lui une obligation de rétablir les disparus dans leur dignité humaine.  

De la même manière, le processus du deuil se réalise grâce à un travail de mémoire. Après une première phase de rejet total et immédiat d’un fait douloureux, l’individu entre dans une seconde phase qui est l’acception, petit à petit, des images attachées au disparu. C’est par la modification de ces images avec le temps que le processus d’éloignement peut commencer. Dans les sociétés marquées par une douloureuse histoire, les questions mémorielles sont intimement liées à la refondation de la communauté. 

Une politique, ou des politiques, de la mémoire sont alors essentielles pour entamer un réel processus de réconciliation, passant par une reconnaissance officielle des responsabilités. Rejoignons alors Jacques le Goff dans son invitation à faire « en sorte que la mémoire collective serve à la libération et non à l’asservissement de l’homme ».