Les 4 et 5 juillet 2018, l’Algérie a été examinée par le Comité des Droits de l’Homme à Genève, lors de sa 123e session. La FEMED, en partenariat avec son association membre Djazairouna, a transmis au Comité un rapport alternatif mettant en lumière les multiples infractions de l’Algérie à ses engagements internationaux matérialisés par la ratification du Pacte International Relatif aux Droits Civils et Politiques ( ci-après le Pacte). Ce Pacte a été signé par l’Algérie dès 1968 et ratifié en 1989. Il ne s’agissait pas tant pour la FEMED et Djazairouna de s’assurer de la condamnation de l’Algérie par le Comité des Droits de l’Homme, qui était un acquis au vu des multiples violations du Pacte par l’Algérie, que d’apporter au Comité des bases solides, dénoncées directement par la société civile algérienne, sur lesquelles il pouvait appuyer son travail d’observation.
Dans leur rapport alternatif, la FEMED et Djazairouna ont en premier lieu dénoncé l’absence des droits protégés par le Pacte dans la législation interne algérienne. En effet, au regard de la décision du Conseil Constitutionnel n°1-D-L-CC 89 du 20 août 1989 relative au code électoral, toute convention, une fois ratifiée, est en application de l’article 123 de la Constitution intégrée au droit national et acquiert ainsi une autorité supérieure à celle des lois, ce qui autorise alors tout citoyen algérien à s’en prévaloir devant les juridictions nationales.
Cette obligation d’harmoniser sa législation au regard de l’engagement contracté par la ratification du Pacte est également renforcée par la loi 89-08 d’avril 1989 à laquelle l’Algérie est tenue par le décret présidentiel n°89/67, ainsi que par l’article 150 de la Constitution. Ce premier manquement de l’Algérie à la législation interne du pays augure bien de la distance existante envers l’engagement international ainsi contracté, tel que nous l’avons constaté depuis près de 30 ans. Le rapport alternatif soumis par la FEMED et Djazairouna souligne aussi le manque de publicisation du Pacte qui conduit à un appauvrissement de fait des provisions contenues dans l’article 358 du code des procédures civiles et administratives, selon lequel est garanti au citoyen le droit de demander, en cas de violation d’un traité international, un pourvoi en cassation.
Les violations du Pacte constatées depuis des années ont été renforcées récemment sur des fondements législatifs, avec l’adoption de diverses lois relatives à la vie politique et à l’exercice des libertés. Tel est ainsi le cas avec les lois 12/01 relative au régime électoral, 12/04 relative aux partis politiques, 12/05 relative à l’information ou encore 12/06 relative au domaine associatif.
Au regard du sujet des disparitions forcées, la révision constitutionnelle algérienne, adoptée par la loi du 7 février 2016, contribue à constitutionnaliser l’impunité et le déni de justice par un transvasement dans la Constitution
des principes établis par la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, que nos associations algériennes dénoncent depuis son adoption. Ce glissement vers le niveau constitutionnel de principes en opposition absolue avec la lettre du Pacte, et notamment avec ses articles 2 (§ 2 et 3), 14 et 16, consacre une nouvelle fois l’indifférence affichée par l’Algérie à ses engagements internationaux
Les articles 7 et 9 du Pacte, relatifs à la torture et aux détentions arbitraires, se trouvent également régulièrement bafoués par les autorités algériennes, et ce malgré l’inscription dans la législation nationale de l’interdiction de la torture notamment. La soustraction d’individus de l’État de droit, de laquelle l’enlèvement forcé, la torture et la détention arbitraire sont des résultantes, se trouve de plus légitimée dans les faits par l’absence de dispositions législatives sur l’obtention d’aveux sous la torture. En effet, l’article 123 du Code de procédure pénale pose comme principe que « l’aveu, comme tout élément de preuve, est laissé à la libre appréciation du juge ». Ainsi, si la pratique est théoriquement interdite selon des engagements nationaux ou internationaux, les conséquences de ces pratiques sont jugées recevables devant un jury, illustrant bien une dissociation de fait entre la lettre et son application.
Enfin, alors que la levée de l’état d’urgence en 2011, par l’ordonnance 11-01, aurait pu donner lieu à un assouplissement de l’Algérie sur ses politiques relatives aux droits de l’homme, et ainsi à un respect renouvelé du Pacte, celle-ci s’est en réalité trouvée accompagnée de l’adoption de l’ordonnance 11-03 qui modifie et complète la loi 91-23 de 1991. Cette ordonnance fait, depuis son adoption, peser au-dessus de la société civile une ombre menaçante dans la pleine continuée de celle existant durant l’état d’urgence, puisqu’elle concrétise la possibilité pour l’État de faire appel à l’armée nationale populaire en dehors du cadre d’urgence, afin de lutter « contre leterrorismeet la subversion ».
La condamnation de l’Algérie par le Comité des Droits de l’Homme a été saluée par la FEMED et ses associations membres, même si un autre jugement paraît inconcevable. Le rapport alternatif constitué par la FEMED et Djazairouna constitue dorénavant une feuille de route à l’aune de laquelle les actions entreprises par l’Algérie suivant cet examen seront minutieusement examinées et documentées par nos deux associations. A moyen terme, ce suivi nous permettra de participer activement au dialogue supposé être mis en place à la suite de cet examen, l’Algérie devant répondre sous un an aux observations faites à son égard par le Comité des Droits de l’Homme.
Source de la photo : site de l'ONU