Reconnaître la Palestine : une nécessité à l’intersection du droit, de l’éthique et de la solidarité internationale

Une urgence humanitaire sans précédent

Après près de deux années d’offensive militaire ininterrompue, la bande de Gaza est aujourd’hui plongée dans une crise humanitaire d’une extrême gravité. Selon un récent rapport du Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC), les conditions matérielles d’existence de la population gazaouie se sont détériorées jusqu’au culminant point de la famille. A cette dernière, les causes sont multiples, comprenant de constants bombardements, des déplacements forcées, des destructions d’infrastructures et, par engrenage, l’impossibilité d’acheminer une aide humanitaire suffisante.

Les rares opérations de largages aériens de vivres, autorisées ponctuellement, restent largement inefficaces, coûteuses et des plus dangereuses. Le rapport souligne qu’une personne sur trois dans la bande de Gaza passe désormais plusieurs jours sans accès à la nourriture. Dépassant les habituelles alertes, ce qui se déroule sous nos yeux relève du « pire scénario de famine » en cours dans une zone densément peuplée, où les civils se trouvent pris au piège.

L’échec d’une politique d’immobilisme

Pendant plusieurs décennies, la communauté internationale, y compris la France, a subordonné la reconnaissance de l’État de Palestine à l’aboutissement d’un accord de paix bilatéral entre les parties israélienne et palestinienne. Cette doctrine reposait sur le postulat qu’un règlement négocié aboutirait à la coexistence pacifique de deux États, fondée sur un compromis territorial. Toutefois, cette approche s’est progressivement heurtée à une évolution de la réalité politique et géopolitique du terrain, rendant de plus en plus illusoire la perspective initiale.

La politique de colonisation systématique menée par Israël en Cisjordanie depuis plusieurs décennies a profondément compromis la continuité territoriale et la viabilité d’un éventuel État palestinien. À la suite de l’attaque du 7 octobre 2023, cette dynamique s’est exacerbée : la bande de Gaza a subi une destruction massive, tandis que les violences exercées par les colons en Cisjordanie se sont intensifiées, dans un contexte marqué par la montée en puissance d’un gouvernement israélien dominé par des forces ultranationalistes. Ce dernier semble engager une stratégie de normalisation de pratiques assimilables, selon de nombreux observateurs, à une entreprise de nettoyage ethnique.

Dans ce contexte, maintenir une position fondée sur l’attente d’un accord bilatéral revient, de facto, à cautionner une politique d’annexion progressive et de dépossession des Palestiniens. Le maintien du statu quo ne saurait ainsi être interprété comme une posture neutre : il participe au contraire à la légitimation tacite d’un processus de fragmentation et de marginalisation irréversible du peuple palestinien.

Une décision politique fondée sur les valeurs de justice et de droit

Dans ce contexte, la prise de position récente du président français en faveur de la reconnaissance de l’État de Palestine constitue un infléchissement significatif de la diplomatie française. Formulée en amont de l’Assemblée générale des Nations unies, cette déclaration marque une rupture avec la posture de prudence stratégique et de temporisation qui a, jusqu’à présent, caractérisé l’attitude française face au conflit israélo-palestinien. Elle repose sur un principe fondamental de droit international : le droit à l’existence d’un peuple et à son autodétermination ne saurait être conditionné à l’aval de la puissance occupante.

Le territoire palestinien, en particulier la Cisjordanie et la bande de Gaza, demeure soumis à un régime d’occupation militaire et à un contrôle externe rigide, privant une large partie de la population de ses droits fondamentaux. Dans ce cadre, le refus persistant de reconnaissance équivaut à une forme de déni des principes établis par le droit international, notamment ceux relatifs à la souveraineté des peuples et à la fin des occupations prolongées.

Par ailleurs, cette position soulève des enjeux de cohérence normative pour les démocraties occidentales, et en particulier pour la France, qui se réclament des valeurs de justice, d’égalité des droits et de primauté du droit sur la force. Une reconnaissance explicite de l’État palestinien apparaît, dès lors, comme une mesure non seulement conforme au droit, mais également indispensable à la crédibilité des engagements démocratiques et humanistes que la France affirme incarner sur la scène internationale.

Reconnaissance de la Palestine : un levier pour la stabilité et la légitimité démocratique

La reconnaissance de l’État de Palestine ne saurait être interprétée uniquement comme un geste symbolique de solidarité envers un peuple soumis à l’occupation. Elle constitue également un instrument stratégique de stabilisation régionale. En l’absence de perspective politique crédible, le conflit israélo-palestinien est condamné à se perpétuer, entraînant des conséquences humanitaires dramatiques, une érosion du droit international et une déstabilisation croissante de l’environnement géopolitique au Proche-Orient. Les populations civiles, tant israéliennes que palestiniennes, demeurent les premières victimes de cette impasse prolongée.

La création d’un État palestinien, dans le cadre d’une reconnaissance officielle, représente également un moyen efficace de marginaliser les discours extrémistes et les stratégies fondées sur la violence. En offrant un horizon politique aux revendications palestiniennes, elle affaiblit les logiques de radicalisation et dément les narratifs selon lesquels seule la confrontation armée permettrait d’obtenir des résultats. À ce titre, la reconnaissance constitue une réponse stratégique aux dynamiques d’instrumentalisation du conflit.

Enfin, sur le plan normatif, une telle reconnaissance permettrait de rappeler aux autorités israéliennes les limites inhérentes à tout système démocratique. Un État ne saurait continuer à se réclamer de la démocratie tout en refusant à une population voisine des droits fondamentaux, notamment celui à l’autodétermination, et en institutionnalisant un régime d’inégalités qui s’apparente à une forme d’apartheid. Reconnaître la Palestine, c’est ainsi réaffirmer que la légitimité démocratique repose sur l’égalité des droits, et non sur leur négation.

Une reconnaissance imperative face à l’effondrement de la solution à deux États

Il est désormais légitime de s’interroger sur la viabilité réelle de la solution fondée sur la coexistence de deux États. L’ampleur des destructions, l’extension continue des colonies israéliennes et l’absence de volonté politique de parvenir à un règlement négocié ont profondément compromis cette perspective. Toutefois, l’inaction ne représente pas une alternative acceptable : elle garantit, à terme, l’effacement total de toute option politique fondée sur le droit à l’autodétermination du peuple palestinien.

La reconnaissance de l’État de Palestine, bien qu’insuffisante à elle seule pour résoudre l’ensemble du conflit, peut néanmoins jouer un rôle décisif dans l’inversion de cette dynamique. Elle constitue un acte politique porteur de sens : réaffirmer la validité du droit international, rouvrir un espace de négociation aujourd’hui moribond, et poser des limites claires aux pratiques contraires aux principes fondamentaux des relations internationales.

Du point de vue de notre organisation, cette reconnaissance revêt un caractère multidimensionnel. Elle s’impose comme une exigence humanitaire, face à la catastrophe en cours ; comme une nécessité morale, à l’égard d’un peuple soumis à l’oppression ; comme une obligation juridique, fondée sur les normes du droit international public ; et enfin, comme une condition politique indispensable pour toute perspective de paix juste et durable au Proche-Orient.

Source de la photo : Lors des funérailles d’un Palestinien tué alors qu’il tentait d’atteindre des camions d’aide humanitaire, à Gaza, le 26.07.2025. ABDEL KAREEM HANA / AP

Sources de l'article :

"La logique de la reconnaissance de la Palestine", Le Monde, (en ligne), 26.07.2025

Jean-Philippe Rémy (Jérusalem, envoyé spécial), "« Il faut appeler un génocide par son nom » : deux ONG israéliennes se prononcent sur l’opération de l’armée à Gaza", Le Monde, (en ligne), 28.07.2025

"Alors que la famine de masse se propage dans la bande de Gaza, nos collègues et les personnes que nous aidons dépérissent", Amnesty International, (en ligne), 23.07.2025

"Famine à Gaza : Trump contredit Nétanyahou", Courrier International, (en ligne), 29.07.2025

"En direct, Gaza : le « pire scénario de famine est en cours », selon un rapport IPC", Le monde, (en ligne), 29.07.2025