Turquie : La répression contre les défenseurs des droits de l’Homme se pousuit

A la fin de l’année 2011, les forces de police turque ont procédé à des arrestations ciblées et massives contre des militants des droits de l’Homme kurde en Turquie. De nombreux dirigeants du parti politique kurde, Paix et Démocratie (BDP), des représentants de la société civile engagés pour les droits des Kurdes en Turquie, ainsi que des familles de disparus ont fait l’objet d’une sévère répression orchestrée par le gouvernement.

Kemal Aydin et Selahattin Tekin ont été arrêtés le 4 octobre 2011 dans le cadre d’une vaste opération au cours de laquelle 98 personnes ont été arrêtées à Istanbul. Cemal Bektas se trouvait le 4 octobre à Diyarbekir. Il a été arrêté à son retour à Istanbul, le 11 octobre dernier, au soir, alors qu’il sortait du local de l’association Yakay-der. Nahide Ormanci, membre de l’association turque les Mère pour la Paix, association membre de la FEMED, a été également été arrêtée dans le district de Slopi.

Pendant deux jours, personne n’a su où se trouvait Cemal Bektas. Ce n’est que quelques jours plus tard que les proches et les familles ont été emmenés. Ils sont actuellement en détention provisoire. 

Yakay-der et les Mères pour la Paix œuvrent depuis de nombreuses années pour la Vérité et la Justice sur les disparitions forcées en Turquie. Leurs représentants sont victimes de harcèlement quotidien des autorités à leur encontre. Ces associations s’attachent à éclaircir les circonstances des disparitions et exécutions extra-judiciaires survenues en Turquie et ce, en menant des recherches auprès des familles de victimes, en organisant des conférences et d’autres activités de sensibilisation. En juillet 2011, les associations ont organisé une grande conférence sur l’existence des charniers en Turquie demandant aux autorités de procéder à l’exhumation des corps afin de les rendre à leurs familles.

Prison de Kocael, Février 2012

“Chère Nassera, 

(...) J’ai été arrêté le jour de mon retour de Diyarbakir à Istanbul, c’est-à-dire le 10 octobre 2011, à la sortie de l’association. Après quatre jours de garde à vue, on m’a fait comparaître devant le tribunal. J’ai alors été auditionné et incarcéré. Mais je ne sais toujours pas pour quelles raisons et sur le fondement de quelles preuves j’ai été détenu. J’ai demandé à mon avocat des informations sur mon dossier. Il m’a répondu que le tribunal avait décidé que le dossier serait secret et qu’en conséquence, personne ne pourrait avoir d'informations. 

Je ne connais toujours pas les raisons de mon incarcération et les éléments de preuve qui la fondent. Ni mon avocat, ni moi-même n’avons eu d’informations à ce sujet, ce qui constitue une grande injustice. Après cinq mois de détention, je n’ai toujours pas d 'informations sur mon dossier et rien ne permet de penser que cette injustice sera bientôt réparée. 

Peut-être avez-vous suivi la situation. Plus de deux cents personnes ont été incarcérées en même temps que moi. Certains d’entre eux sont des académiciens, des journalistes, des dirigeants d’association, des politiciens et des avocats. Les débats et les commentaires dans la presse écrite et les émissions de télévision prouvent qu’il s’agit de décisions purement politiques et totalement contraires au droit. (...)

Nassera, pour le moment, je vais bien. Je suis dans une cellule de trois personnes. J’essaye de passer le temps en lisant des journaux et des livres. Bien sûr, la détention est difficile à supporter. Pour le moment, je ne sais pas à quelle date je serai jugé. C’est une situation étrange. D’après l’avocat, le jugement pourrait ne pas intervenir avant un an, ce qui va rallonger la procédure. Comme vous le savez, les activités de notre association sont claires. Elles consistent à enregistrer les plaintes concernant les disparitions et les exécutions, et à suivre les actions en justice. D’ailleurs, en date du 12 juin, juste avant les élections, le Premier ministre a rencontré quinze familles de disparus au palais de Dolmabahçe et, après les avoir écoutées attentivement, il leur a dit qu’il tenterait de remédier à leurs souffrances. Il s’était engagé à mener une enquête sur les disparitions et à suivre la situation de très près. Cependant, quelques mois plus tard, je me suis retrouvé en prison. Et je ne sais même pas de quoi je suis accusé. J’espère que je serai bientôt jugé et qu'ainsi, tout sera dévoilé.

(...)

Je salue du fond du cœur tous les dirigeants et employés de la FEMED et vous souhaite de réussir dans votre travail. Vous m’avez tous beaucoup manqué. Je vous adresse mes amitiés et espère vous revoir en des jours de liberté.

Votre collègue, Cemal Bektas”

Source de la photo : Adem Altan / AFP / Prison de Sincan, près d'Istanbul, en 2012