Associations de droits de l’Homme menacées, droit pénal turc inadapté, protection des témoins insuffisante, une situation alarmante pour les associations luttant contre les disparitions forcées
La situation actuelle en Turquie est alarmante, constat partagé par nombre d’associations de la région. Le recours aux disparitions forcées, pratique répandue lors du conflit turco-kurde dans les années 1990, persiste encore aujourd’hui en Turquie et plus précisément au Kurdistan. Deux associations travaillant sur ces questions, Mères pour la Paix représentée par Mme Nezahat Teke, et Meya Der représentée par M. Ibrahim Halil Oruc, dénoncent le conflit armé se déroulant dans cette région et surtout s’alarment de la pression exercée par les autorités turques sur les associations des droits de l’Homme. La situation des associations de défense des droits de l’Homme et notamment celles luttant contre les disparitions forcées est devenue insupportable. Les membres d’associations sont harcelés, menacés, arrêtés et condamnés à des peines de prison. Pire encore, selon M. Velat Demir, de l’association Yakay Der, les proches des disparus, les avocats, les journalistes, les défenseurs des droits de l’Homme, etc. sont menacés, intimidés, torturés et parfois condamnés pour leur supposé lien avec le parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Près de 7500 personnes seraient actuellement emprisonnées.
Pour Velat Demir, le manque de volonté étatique dans la résolution des crimes de disparitions forcées est indéniable. Et cela commence par le déficit de protection des témoins. Lors du procès du Colonel Cemal Temizöz de 2009, de nombreux témoins ont dû retirer leurs témoignages car ils n’étaient pas inclus dans le programme de protection. Or il est primordial que la Turquie mette en place une protection effective des témoins. Plus encore, le droit pénal turc s’avère totalement inadapté pour condamner le crime de disparition forcée : le nouveau code pénal turc de 2005 n’inclut pas la disparition forcée dans la qualification de crime contre l’humanité. Velat Demir va plus loin et déplore le fait que les crimes commis avant 2005 restent jugés selon l’ancien Code pénal turc, notamment concernant le délai de prescription.
L’une des pierres angulaires de la lutte contre les disparitions forcées repose sur le travail d’identification des corps. Or là aussi la position des autorités turques doit évoluer. En effet, en Turquie, afin d’identifier le corps d’un ou d’une disparu(e), il est obligatoire de disposer de l’ADN du père ou de la mère. Seul cet ADN du père ou de la mère est accepté pour l’identification. Les frères et les sœurs de disparus se retrouvent alors parfois dans l’obligation d’exhumer leurs parents défunts afin de récolter leur ADN ou de tout simplement refuser l’identification. Une situation inacceptable que dénoncent les associations Mères pour la paix et Meya Der.
Ces différents obstacles entravent l’exercice de la justice, le respect du droit à la vérité et plus encore le travail de réconciliation. En effet, Velat Demir insiste sur le fait qu’il est essentiel d’identifier et de condamner les auteurs d’exactions pour que le processus de réconciliation entre turcs et kurdes puisse aboutir. Il tient à ce titre à souligner que si la lutte contre les disparitions forcées en Turquie s’avère extrêmement difficile et dangereuse, elle trouve aujourd’hui un écho au sein des autorités turques, ce qui n’était pas le cas il y a une dizaine d’années.